Ce texte a été écrit lors de l’atelier d’écriture organisé par la fondation Studer Ganz et l’ADS et présenté à l’occasion de la lecture publique au théâtre 2.21 à Lausanne le 29 novembre 2013.
Mon oncle s’appelle Robert, il a 52 ans et est d’origine danoise.
Il est obèse et a de gros sourcils noirs, toujours froncés. Il vit dans une maison qu’il a acheté, du temps où il était codirecteur d’une boîte d’évènementiel qu’il avait montée avec sa femme. Un jour, ils ont eu un grave accident de voiture, il a fallu les sortir de la tôle où ils étaient encastrés à l’aide de scies à métaux. C’était au début de leur relation. Je me souviens de leurs cicatrices sur leurs visages. Il y a eu les grandes années d’amour, puis elle a demandé le divorce. Et il y a eu la crise du début des années 2000, puis l’entreprise a fait faillite.
Depuis, il dit qu’il a tout perdu. Mais il vit toujours dans la même maison, mon père m’a dit « c’est la seule chose qu’il n’a pas dû vendre ». Il organise toujours des soirées pour des entreprises où il se passe des choses originales. Comme par exemple des nettoyeurs de vitre à l’extérieur du bâtiment où se passe la fête, suspendus à une petite passerelle, qui sont en fait des comédiens et entrent par les fenêtres pour jouer une scène de théâtre ou de film très connus. Mais il les organise depuis sa maison maintenant. Il dit qu’il n’a pas assez d’argent pour des locaux, que de toute façon il ne voudrait pas en louer, ça serait trop compliqué. Il dit souvent qu’il est le seul dans son milieu à avoir réussi sans diplôme à se faire un nom dans l’évènementiel.
Il porte des habits de marque et est toujours propre sur lui. Il met de la gomina dans ses cheveux. Je trouve qu’il a un air triste, avec ces sourcils très marqués, toujours froncés sur son visage. Comme son chat, un vieux chat obèse qui a des sourcils proéminant. Qui fuit du regard quand on s’approche de lui.
Il m’a montré un tableau complètement banal un jour, un paysage fait d’un étang et de sapins, en m’expliquant fièrement que c’était lui qui l’avait fait. Qu’il avait découvert une méthode américaine pour peindre assez bien, avait-il précisé, toutes sortes de paysage en moins de dix minutes. Ca semblait lui plaire.
Il critique tout le temps la politique en disant que c’est tous une bande de trou-du-cul, qu’ils ont mis tellement d’interdits en ville qu’on peut plus circuler. Que le système de santé est monstrueux, que si y’avait pas les impôts, il serait millionnaire. Il boit du coca et fume des cigarettes. Mais il les écrase toujours à moitié consumées. Il dit souvent « faut que j’arrête… » Et s’en rallume une cinq minutes plus tard.
C’est mon oncle Robert.