La Statue Vivante

Texte écrit dans le cadre d’un collectif d’écriture, le Groupe Sans Nom, en 2014.

Comme toujours, il va acheter à manger. Dans le centre commercial, y a les vieilles dames qui tirent leurs cabas à roulette, les mères avec leur poussette et les mêmes personnes attablées au café du hall sous les néons. Ils ont le visage marqué, le regard jaune, comme si ces gens s’étaient perdus, à force, dans un sentiment de vacuité.

Sur le chemin du centre commercial, il y a toujours cette statue qui attire son regard. Un homme déguisé dans un habit de couleur métallique, un maquillage gris sur le visage. L’homme force l’attention, coincé dans son immobilité. Il le fixe, donc, comme tous les passants, afin de déceler une respiration qui ferait gonfler légèrement la poitrine ou apercevoir un battement de cil, n’importe quel mouvement en fait qui le rassurerait sur la nature humaine de cette statue vivante.

Mais à force, les jours passent, il ne l’observe plus. Pire, le saltimbanque s’efface, il disparaît dans le mobilier urbain, prostré entre l’arrêt de bus et l’entrée de la bibliothèque municipale. Au bout des dixièmes courses déjà dans le même centre commercial, il ne voit plus non plus les femmes avec leurs enfants, les grand-mères et leurs chariots au ralenti. Il a mis de la musique fort dans ses oreilles au moment de partir. Il marche tel un automate vers la satisfaction future de son estomac, calé au rythme qui l’a fait décoller vers un ailleurs qui le sort de ce quotidien.

Soudain, un détail capte son attention. Sa musique s’arrête, il entend d’un coup le caniche qui aboie, les discussions des gens attablés au café du hall du centre commercial. Le monsieur qui fait la statue vivante est là, appuyé sur la barrière des escaliers. Il mange un sandwich, toujours habillé et maquillé de ce gris métallique. Il a un air nonchalant, celui-là même des gens au regard jaune assis au café du hall du centre commercial.